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16 décembre 2009 3 16 /12 /décembre /2009 11:26

 

J’ai cinq ans. L’âge des mauvais rêves et des peurs du noir. L’âge où l’on se sent encore si fragile mais où les parents sont déjà si vieux qu’ils ne comprennent rien aux rêves d’une petite fille. Ce soir, je me sens vraiment ridicule dans mon pyjama rouge, beaucoup trop grand pour moi. J’ai l’impression que les manches me font des moufles. Je suis obligée de le tenir à la taille d’une main pour qu’il ne tombe pas. Il est vrai que ma mère a la fâcheuse habitude d’acheter mes vêtements trop grands pour qu’ils me servent plus d’une saison.  Comme je me plains de ressembler à un clown, ma mère me rétorque : « Qu’est ce que cela peut bien te faire, mis à part moi et papa, personne ne te voit. »

 

Il est 19h. C’est l’hiver et la nuit est déjà tombée.

 

A la télévision, mon dessin animé préféré vient de s’achever et, avant même la fin du générique que j’aime tellement, ma mère m’ordonne de monter dans ma chambre pour aller au lit  : « Sophie, c’est l’heure de dormir », me dit-elle d’un ton autoritaire.

Je réponds avec le désir d’infléchir sa décision : « Je n’en ai pas envie, je ne veux pas monter dans ma chambre.

-       C’est l’heure, y’a pas à discuter.

-       Oh, s’il te plait, viens avec moi, j’ai toujours peur, seule, là-haut dans le noir.

-       Tu y vas ou je me fâche. La météo annonce un froid glacial cette nuit. Allez monte, Papa a allumé le poêle à charbon dans ta chambre, il y fait bien chaud.

-         D’accord mais accompagne-moi.

-         Non et ça suffit, tu es fatigante !

-         Maman…

-         Tu montes sans plus discuter. Ne m’oblige pas à me fâcher ! »

 

Il n’y a rien à faire, à contre-cœur, je me résigne. Tête baissée, je sors du salon. Déjà, la solitude m’envahit. Devant l’escalier, j’ai l’impression de devoir franchir une montagne qui m’emmène dans un autre monde. Plus je gravis les marches, plus vite mon petit cœur se met à battre. J’en ai le tournis tellement tout résonne dans ma tête.

 

Mes parents et moi, nous habitons une grande et vieille maison, avec des fenêtres si hautes qu’un géant pourrait y passer sans se baisser. Et si quelqu’un venait à me kidnapper en passant du toit au grenier et du grenier dans ma chambre ? J’aurais beau appeler au secours, mes parents en bas n’entendraient rien…

 

Les marches de l’escalier grincent comme s’il y avait un gros démon hurlant sous chacune d’elles. Plus j’approche du palier de ma chambre, plus je ralentis mon pas. J’appréhende cette nuit noire, ce poêle dont les flammes jaune-orange me narguent avec leur danse, se moquent de ma peur et de ma solitude. Malgré mes efforts pour freiner le temps, j’arrive devant la porte. Encore quelques pas et je touche la clinche. Une clinche bien facile à ouvrir pour un endroit que je voudrais invincible. J’ai cinq ans, je suis si petite et cette clinche est bien trop haute pour moi. Mes mains sont moites et ne cessent de trembler. Doucement, j’abaisse la poignée qui permettra à la porte de s’ouvrir. J’entre. La chambre est plongée dans le noir. Les rideaux de velours sombre sont tirés ne laissant passer aucune lumière.

 

Devant moi, le poêle ronfle. Sa chaleur sèche me fait presque suffoquer. Le plafond reproduit le va-et-vient des flammes qui s’amusent de ma présence. Fascinée et apeurée à la fois, j’observe cette scène figée sur place. « Mais pourquoi, ni mon père ni ma mère ne viennent me border ? C’est de leur chaleur dont j’ai besoin. »

 

Rapidement, j’allume la lumière. Un petit lustre en cristal éclaire les murs de ma chambre en y projettant des éclats multicolores. Ravie par le spectacle, je trouve le courage de vite prendre mon nounours sur mon lit. Au fait, je ne t’ai pas dit le nom de mon nounours. C’est Trésor car il l’est pour moi. Le seul qui me tienne compagnie durant la nuit, celui à qui je peux raconter mes angoisses, mes peurs… Avec son poil beige clair, petit mais dodu, un large ruban rouge autour du cou, il est vraiment unique mon Trésor. Ses yeux noirs et brillants ne voient que moi.

 

Mon nounours dans les bras, j’éteins la lumière avant de sauter dans ce grand lit. Chaque soir, c’est le même rituel. Encore et toujours, les flammes illuminent la chambre. Sans plus tarder,Trésor serré contre mon cœur et moi, nous nous glissons sous les couvertures que j’attire jusqu’à mes lèvres. Quel calme ! Les flammes, tantôt grandes, tantôt petites, bougent pour me saluer. Elles dansent sur le mur comme une procession de sorcières. Je ne veux plus les voir et, Trésor et moi, nous nous retournons.

 

« Trésor as-tu passé une bonne journée ? Tu sais, j’ai beaucoup pensé à toi à la récréation et je suis contente de pouvoir te parler maintenant. Aujourd’hui, la maîtresse m’a grondée car j’ai renversé l’eau qui sert à nettoyer mes pinceaux. J’ai tâché mon tablier et les copines se sont moquées de moi. Tu sais, je ne l’ai pas fait exprès. Je n’ai rien dit à mes parents, car je ne veux pas qu’ils me punissent, j’étais tristounette tout l’après-midi. La maîtresse m’a demandé de tout essuyer avec un vieux torchon gris. C’était pas chouette. J’étais vraiment soulagée quand la cloche a sonné. Ouf, cet après-midi de peinture devenait longue. Et nous revoilà tous les deux ce soir. Toi, seul, parviens à me consoler. Tu sais, quand le poêle va s’éteindre, il n’y aura plus aucune flamme… Nous serons tous deux dans le noir absolu. Trésor, je n’aime pas être seule dans le noir. Comment ferais-je sans toi ? Dis-moi, n’as-tu jamais peur de rien ? Je t’admire et je te fais un gros bisou. T’as remarqué, Trésor, mes parents, eux, ne viennent jamais me faire un bisou. Est-ce normal ? Peut-être sont-ils fatigués de leur journée de travail ?

 

Retournons-nous maintenant. Regarde, les flammes sont déjà toutes petites et les sorcières ont disparu. Encore quelques secondes… Voilà, tout a l’air calme, plus aucune flamme.

 

Trésor, chuut, entends-tu ce bruit de métal qui s’entre-choque ? »

 

Je n’ose pas me pencher sous le lit pour observer d’où vient ce bruit mystérieux. Je retiens ma respiration, mais pas trop longtemps. « Trésor, écoute, on  dirait le galop de chevaux. Mais que se passe-t-il ? » Doucement, très doucement, je jette un regard par‑dessous.

 

« Oh, mais il y a plein de monde. Tiens regarde, on dirait le village qui se trouve derrière la colline du Printemps. Tous les habitants sont venus pour voir les cavaliers s’affronter, les cracheurs de feu faire leur numéro, la chiromancienne annoncer l’avenir. » Sous les couvertures, Trésor et moi avons chaud, mais je n’ose découvrir mon pied de peur d’être touchée par la pointe de l’épée d’un des chevaliers. J’entends le héraut annoncer l’ouverture des jeux. Dans la loge princière, le fils du roi, un beau jeune homme à l’allure noble, m’observe. Il me fait même un clin d’œil. Je me recouche sur mon oreiller, étonnée, et demande à Trésor :« Vois-tu les mêmes choses que moi ? »

 

Alors, tout doucement, je me penche à nouveau sous le lit et là, j’aperçois le prince sur son destrier. « Oh mais il va se battre ! Il fonce. »

 

Son cheval galope si vite que j’ai du mal à le suivre du regard. Il descend son épée à l’horizontal et, d’un coup, désarçonne son adversaire. Comme il est beau, le prince. Je veux devenir sa princesse. Peut-il voir que je l’observe ? J’espère qu’il n’a pas remarqué mon pyjama trop grand. Il s’en va saluer la foule en liesse. Oui, je me verrais bien à son bras dans une belle robe longue, cintrée à la taille par un beau ruban de soie rose. J’y mettrai des fleurs, des vraies, pour que jamais il ne m’oublie et que chaque fleur lui rappelle que je suis là pour lui. 

 

Les bruits deviennent moins fort. Je n’entends presque plus la foule. Mes paupières doucement se ferment. Je m’endors le sourire aux lèvres avec le plaisir de revoir ce mystérieux prince demain et de pouvoir lui adresser la parole.

 

« Pour l’occasion, je changerai de pyjama…

Bonne nuit Trésor. »

 

 

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commentaires

Y
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